Agri-Sahel

Agri-Sahel

Investissements agricoles au Burkina: beaucoup de ressouces, peu de résultats

                                       Par Ouattara Fatouma

 

 

4.jpg

 

Avec en moyenne 10% de son budget injecté dans l’agriculture entre 2006 et 2012, le Burkina Faso est cité comme exemple en ce qui concerne le respect des engagements de Maputo. Malgré ses efforts, les résultats semblent ne pas encore être à la hauteur des atteintes. En milieu rural la pauvreté n’a pas réellement reculé au point que beaucoup se demandent, en l’occurrence les organisations de la société civile, ou vont réellement les sommes allouées à l’agriculture.

 

 

 

« On dit que le Burkina Faso investit au moins 10% de son budget au secteur agricole mais nous, en tant que producteurs, nous ne ressentons pas cela dans les champs », a déclaré avec beaucoup de regret, Jules zongo, le secrétaire générale de la Fédération nationale des Jeunes professionnels agricoles(FNJPA).Tout comme lui, beaucoup d’organisations de la société civile notamment les organisations paysannes ne semblent pas satisfaits des résultats obtenus par le Burkina Faso dans le secteur agricole. Elles en veulent pour preuve, l’augmentation de la vulnérabilité alimentaire des populations et surtout le faible accès des producteurs familiaux aux intrants notamment les engrais et les semences. La revue diagnostique des dépenses publiques de base dans le secteur agricole (2004-2012), une étude commanditée par la Banque mondiale en 2013, confirme cette situation du Burkina qui contraste avec son statut de champion des accords de Maputo. En effet, il est ressorti que la croissance agricole du Burkina est de seulement  3,5% en moyenne  par an, entre 2004 et 2011.Une croissance qui n’est pas due à une augmentation des rendements, mais plutôt à l’extension des superficies emblavées du fait du boum démographique. D’ailleurs, ladite étude a révélé qu’entre 2008 et 2011, les rendements moyens sont demeurés faibles et même en baisse pour des cultures vivrières comme le mil, le maïs et le sorgho.

 

Pourtant il est indéniable que les dépenses publiques consacrées au secteur rural ont beaucoup augmenté depuis quelques années au Burkina Faso. Ce d’autant plus que les émeutes de la faim de 2008 ont attiré l’attention des décideurs sur le rôle régalien de l’Etat. Ainsi le budget des trois ministères clés du secteur rural à savoir les ministères en charges de l’Agriculture et de la Sécurité alimentaire, de l’Environnement et du développement durable ainsi que des Ressources animales ,a quasiment doublé. Il est passé notamment de 65 milliards FCFA en 2004 à 129 milliards FCFA en 2011, pour atteindre 173 milliards en 2012.En 2012 les investissements publics consacrés à l’agriculture ont été estimés à 14% par le gouvernement.

 

Pour certains comme jules Zongo, si les résultats sont aussi peu visibles c’est qu’en réalité les investissements publics dans l’agriculture demeurent dérisoires, malgré l’augmentation constatée. « 14% du budget  est consacré à l’agriculture alors que 80% de la population dépend de ce secteur. Donc c’est vraiment insignifiant » a-t-il fait remarquer. C’est d’ailleurs ce que semble dire un expert de l’Alliance pour la Révolution verte en Afrique (AGRA), Aboubacar Diaby, lorsqu’il soutient que quand on demande au pays d’investir 10% de leur budget à l’agriculture, ce n’est en fait  que le minimum pour espérer une croissance agricole de 6%.En réalité pour faire de l’agriculture le moteur du développement il y a lieu de faire dit-il, plus d’efforts. Toutefois il précise que s’agissant des accords de Maputo, il ne faudrait pas seulement se focaliser sur la quantité des investissements dans le secteur agricole, au détriment de la qualité et de l’efficience de la destination des ressources.

 

Pour les organisations des producteurs et de la société civile, il y a effectivement la quantité mais pas la qualité en ce concerne les investissements publics dans l’agriculture au Burkina Faso. En effet selon le secrétaire générale de la Fédération nationale des Jeunes professionnels agricoles(FNJPA), beaucoup de producteurs n’ont pas accès aux intrants notamment les engrais et la plupart des petits agriculteurs travaillent avec des moyens vétustes et archaïques. De ce fait, certains producteurs familiaux n’arrivent même pas à se nourrir. Pour Ousmane Tiendrébéogo, le secrétaire générale du Syndicat national des travailleurs de l’agropastoral, les producteurs familiaux les plus nécessiteux qui sont officiellement la cible de ces subventions sont mis de côté, dans la mesure où ils doivent payer au comptant. D’où les portes ouvertes à la spéculation car dit-il, des commerçants passeraient par le canal de ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter les engrais aux comptant pour se les procurer afin de les revendre avec beaucoup de bénéfices

 

 « Les petits producteurs sont  mis de côté »

 

 Une étude conduite par le Centre d’information, de formation et d’étude sur le budget (CIFOEB) en 2013 a confirmé ce constat des organisations de la société civile. Cette étude souligne que l’exécution des dépenses ne profite pas tellement à l’agriculture. A titre illustratif les dépenses réelles du secteur agricole étaient estimées à 75,94 milliards de francs CFA en 2010 contre une prévision de 117,27 milliards. L’étude souligne que sur plusieurs années, plus de la moitié des dépenses du ministère de l’Agriculture est dédiée à son propre fonctionnement.

 

L’étude de la Banque mondiale a également aboutit aux mêmes constats. Elle souligne que le montant des subventions aux producteurs vivriers ( semences et engrais) mises en place à partir de la campagne 2008/09, est très modeste comparativement aux montants annuels consacrés à l’agriculture. Le coût de cette subvention est estimé, si l'on tient compte des revenus générés par la vente des engrais, à environ 9 milliards FCFA, soit environ 2,3 milliards FCFA par campagne en moyenne. Ce qui représente 2% de l’enveloppe qui a été consacrée à l’agriculture chaque année, sur la période 2008-2011 (sur environ 110 milliards FCFA d’investissement annuel, en moyenne) .

 

En plus du fait que la part des investissements réservée aux subventions d’intrants est dérisoire, sa gestion est également remise en cause. Les producteurs ont toujours déploré une lenteur dans la mise en œuvre des activités de distributions des intrants. Ils estiment que les engrais et les semences subventionnés arrivent chaque fois en retard. Une autre situation que fustige le président de la confédération paysanne du Faso(CPF), Bassiaka Dao, est que la distribution des semences est confiée aux privées. Pour lui, les organisations paysannes sont les mieux placés pour réussir cette tâche sur le long terme. « Tant que l’Etat mettra de l’argent, les privés seront là. Mais le jour il va se retirer, tout le système pourrait s’effondrer » a t-il déclaré. Pour la Confédération paysanne du Faso, la non-implication des organisations paysannes qui sont les premières concernées est l’une des raisons qui font que les résultats ne sont pas au rendez-vous.

 

 Par ailleurs, la revue diagnostique des dépenses publiques de base dans le secteur agricole a souligné que derrière l’augmentation des dépenses agricoles se cachent une réalité assez lugubre : la mauvaise répartition des investissements.

 

En effet, la production animale qui contribue à  plus 35% au PIB est financé à seulement 7% tandis que la production végétale bénéficie de 63% des investissements sur une contribution au PIB évaluée à 55%.L’environnement est également l’un des parents pauvres du secteur rural. Les investissements dans ce volet sont estimés à 8%.

 

Cette mauvaise répartition est encore plus criarde concernant la recherche agricole qui semble être complètement ignorée. Le Burkina Faso est l’un des pays d’Afrique Sub-Saharienne qui consacrent le moins de moyens à la recherche agricole, avec environ 12000F CFA ( 0,50 dollars US) par habitant et par an, alors que des études récentes ont prouvé que la recherche, en particulier sur les produits vivriers, est l’investissement public ayant le plus d’effets sur la croissance agricole et sur la réduction de la pauvreté à le long terme. Sur la période 2004-2011, le budget de la recherche agricole au Burkina Faso est estimé à 0,1% du PIB total. En 2006, le Conseil Exécutif de l’Union africaine a fixé ce taux à au moins 1%.

 

Selon le docteur Isidore Gnanda, chercheur à l’INERA, les fonds compétitifs internationaux sont actuellement la principale source de financement de la recherche. Dans La revue diagnostique des dépenses publiques de base dans le secteur agricole, il ressort que la dépendance aux financements extérieurs est plutôt générale. Sur la période 2004-2011 le financement extérieur du secteur agricole est environ 71%.

 

Cette forte dépendance du secteur agricole, n’est pas de nature à rassurer la société civile, dans un contexte marqué par la crise économique et financière au niveau des pays qui financent l’agriculture. Car cela pose non seulement un problème de durabilité et d’efficacité mais aussi et surtout de souveraineté dans les choix des priorités nationales en matière de politiques agricoles en particulier et de développement en général. La sécurité alimentaire du Burkina Faso semble donc reposer sur un château de carte puisqu’elle dépend de la générosité des bailleurs de fonds. Il faut donc vite recadrer le système en mettant l’accent sur la qualité des investissements, en ciblant les exploitations familiales plus vulnérables. Car sait-on jamais le jour où le voisin viendra réclamer sa natte, pour paraphraser un adage populaire.

 

 

 

 

 

 

 



30/09/2014
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Actualités locales pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 11 autres membres